La Désynchronisation de la Nature

2018

 

Article publié dans Plastir n°52


La vision de la nature par la science ne se reconnait pas comme utopiste. Elle se démontre comme pragmatique, palpable et inébranlable. Mais elle n’a de cesse d’être remise en question par une autre théorie scientifique qui viendra la supplanter. Sans remettre en question ici les bienfondés des avancées scientifiques, nous allons nous attarder sur le facteur temps dans le traitement avec la nature. Or, en quoi poser la question de l’instant-T est-elle biaisée ? Le scientifique, propose ses définitions intègres et impartiales, mais elles ne sont pas moins noyées dans un flou qui les rendent insaisissables et utopistes. L’humain se sépare de la nature par un regard qu’il veut critique afin de soumettre des preuves, et palier, de sa force et intelligence, aux manques et changements qui se produisent dans son environnement. La réintroduction d’un arbre disparu ou en voie d’extinction sont des gestes atteints par les gouttelettes du sociopolitique rationnel en produisant en même temps de l’irrationnel. L’irrationnel c’est l’utopie d’une nature figée et admirable, à jamais identique. L’irrationnel est la croyance que l’on peut défier la mort, la faire disparaitre. Les actes humains s’attardent ainsi sur le « faire local » à partir du global, quand la localité n’est pas naturelle. Il n’y a qu’un « local » car tout est lié, l’inerte et le mouvement. Il n’est facilement assimilable que même si la nature est palpable et autonome, les gestes des humains, même scientifiques, n’ont de cesse de démontrer que la nature est perçue et comprise comme une image fantasmagorique éternelle et inépuisable d’un côté et classifiable et décortiquée de l’autre.

Le droit commun n’est pas inappropriable. La nature contenant l’air, par exemple, est du droit commun. Mais dans ce sens, c’est un point de vue égoïste, car si la terre était considérée au même titre que l’air, la gestion ne serait pas la même. L’air est utilisé comme « inappropriable », mais la terre, l’eau, la mer sont utilisées comme des droits communs, gérables à profit. Lorsque leur exploitation devient à la limite du supportable, les éléments basculent dans un inconscient collectif, voire dans un droit commun en tant que « bien commun », avec des valeurs et principes positifs supplantant les monétaires. A ce moment-là, les dégâts sont irréversibles. Prenons l’exemple de l’île de Guadalupe en face de la basse Californie. Cette île et son histoire ethnobotanique, ont été retranscrites en une création vidéo du Floral Prevention Office (2016), intitulée Le Brahea edulis, la disparition d’après une conversation avec Stanislas D. On y découvre comment un palmier, le Brahea edulis, va peu à peu disparaître face à la pâture des chèvres installées par les espagnols colonisateurs des eaux et terres environnantes. Le lapse de temps où l’on se sert de l’île à sa guise, la terre appartient à une petite partie de la population humaine. Lorsque la disparition du palmier s’en ressent, on est tous concernés. En tous cas les fautifs ne sont plus désignables. Ils sont « ils » au même titre que la nature est le « ça » lorsque l’on ne se sent pas responsables. Quel protocole pourrait être appliqué pour que le plus tôt possible une conscience collective face à la nature prime sur un intérêt individuel ?

Dans la manière scientifique, on se réfère malgré tout à la nature dans une tradition utopiste de genèse sans fin, facilement transférable au « monde sans fin » [1]  assimilé par la collectivité et ainsi donc s’inscrivant dans une logique de restriction et répression sous la tutelle scientifique qui se charge de nous guider en masse. Cette tutelle a pour volonté patrimoniale de répertorier de manière infinie toutes les traces humaines sur la nature et de hiérarchiser tout ce qui peut être hiérarchisable afin de la conserver tel que l’on l’a répertoriée. Il y a là une sacralisation de l’humain social. Car par la conservation de ce que l’humain connait, c’est bien l’humain qui reste au centre ou encore au-dessus du reste, et non la nature incluant l’humain comme un tout. L’objet nature n’est pas matériellement fini puisque la propre vie se régénère et l’invisible participant à cette régénérescence se modifie. L’humain d’une part, souhaite sa finitude pour pouvoir la comptabiliser et ainsi la maîtriser et d’autre part compte avec son arme utopiste pour faire de la nature un objet irréel et fantasmé sans finitude et des composantes connues et même malgré l’utopie, maitrisée. Il tue la régénérescence. De manière pragmatique, cette inconscience créée qui rend infinie la nature, nous permet l’épuiser sans restriction. 

Si d’un côté il y a destruction, de l’autre il y a recherche de la rédemption. Notre propre nature est divisée, et en cela on divise la nature extérieure. L’état de la nature est le reflet de la méthode que l’on lui afflige : une nature sauvage utopiste et la nature maitrisée, figée et déchue. Maitrisée que ce soit pour la science, l’économie ou les deux. Est-ce que l’on trouve rédemption avec le protocole de Kyoto et autres Cop 21 ?

Pourquoi on en vient à protéger la nature ? Car ne pas vouloir la protéger serait du blasphème. Dans le Manifeste Cyborg, Donna Haraway [2] explique que le « blasphème semble exiger depuis toujours que l’on prenne les choses très au sérieux. » La vie et la mort en font partie. C’est du sérieux. C’est le mythe qui est blasphématoire, et nous démontrons ici que la nature est un mythe. La nature même invisible, incessible et non définie est un mythe que l’on se doit de prendre au sérieux. La nature est mélangée, notre extérieur est mélangé, nous créons notre propre nature en fabriquant des morceaux par-ci par-là, comme une science-fiction. 

L’humanité n’est qu’un Cyborg qui produit de la science-fiction. Cyborg ou « Cyber-organic » veut dire capable de s’autogouverner. Un objet Cyborg ou un être Cyborg est toujours sous contrôle de l’esprit humain. La nature tel que nous la connaissons est sous contrôle de l’humain, ne serait-elle pas un Cyborg ?

« Le Cyborg est une image condensée de l’imagination et de la réalité matérielle réunies et cette union structure toute possibilité de transformation historique. Dans la tradition occidentale des sciences et de la politique, (…) tradition de l’appropriation de la nature comme ressource pour les productions de la culture, tradition de l’appropriation de la nature comme ressource pour les productions de la culture »[3].

Être Cyborg c’est entendre différemment ce qui se passe autour de nous. C’est peut-être une réponse à prendre en considération pour théoriser une nouvelle de notre rapport à la nature et du protocole à tenir. Comme nous le comprenons dans l’œuvre The death of nature de Carolyne Merchant, les analyses développées par les progressistes mettent l’accent sur la nécessité de dominer la technique et font appel à un corps organique imaginaire pour renforcer notre résistance.[4] 

On se sauve. Peut-être trouverions-nous des réponses en s’inspirant des animistes, pour qui tout élément physique ou immatérielle a une âme et contribue au même niveau, à la dynamique de la vie. La protection de la nature découle de l’industrialisation générale de nos dynamiques de vie. Ainsi le pouvoir des industries s’est étendue assez parallèlement à la gestion et à la protection de la nature c’est par et pour elles que cette notion existe. Elle est dirigée par elles. Pour en finir avec le jugement de Dieu d’Antonin Artaud reprend dans un texte radiophonique de manière contée, l’oppression de l’Homme par l’Homme et de la nature par l’humain. Nous avons décidé, en ce cas précis, de s’éloigner de la parole de Dieu, en créant les guerres et en créant la machine.[5] Non seulement on peut anéantir celui qu’on ne trouve pas à notre image, mais nous pouvons se substituer « au créateur » en créant nous-mêmes des machines performantes. Réduire la nature à une notion de quantité traduit une volonté de contrôle. C’est un contrôle prométhéen, la confusion entre humain et Dieu produit de la rédemption. La commémoration en parcs, la protection de certaines plantes et leur conservation sous serre, serait une recherche de notre propre rédemption.

[1] Propos de Donna Haraway, issus du document disponible en ligne et consulté le 11/11/2016 (texte datant de 1985)

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Sur ce sujet, voir Merchant Carolyne, The death of nature, HarperOne, 1980.

[6] Artaud A., Pour en finir avec le jugement de Dieu, création radiophonique du poète français enregistrée en studio entre le 22 et 29 novembre 1947. Document disponible en ligne et consulté les 09/10/2016 et 18/03/17

[EN]

The vision of nature by science does not recognize itself as utopian. She shows herself to be pragmatic, palpable and unwavering. But it is constantly being called into question by another scientific theory which will supplant it. Without questioning here the merits of scientific advances, we will focus on the time factor in dealing with nature. Now, in what way is asking the question of the instant-t biased? The scientist offers his definitions honest and impartial, but they are no less drowned in a vagueness that makes them elusive and utopian. Humans separate themselves from nature by looking at them critically in order to submit evidence, and compensate, of their strength and intelligence, to the lacks and changes occurring in their environment. The reintroduction of a disappeared or endangered tree are gestures affected by the droplets of rational socio-political while at the same time producing the irrational. The irrational is the utopia of a frozen and admirable nature, forever identical. The irrational is the belief that we can defy death, make it disappear. Human acts thus focus on "Doing local" from the global point of view, when locality is not natural. There is only one "Local" because everything is linked, the integer and the movement. It is not easily assimilated that even if nature is palpable and autonomous, the gestures of humans, even scientific ones, have never ceased to demonstrate that nature is perceived and understood as an eternal and inexhaustible phantasmagoric image on the one hand and classifiable and shelled from the other.

[ES]

La visión de la naturaleza por la ciencia no se reconoce a sí misma como utópica. Se muestra pragmática, palpable e inquebrantable. Pero está siendo constantemente cuestionado por otra teoría científica que lo suplantará. Sin cuestionar aquí los méritos de los avances científicos, nos centraremos en el factor tiempo al tratar con la naturaleza. Ahora bien, ¿de qué manera se está haciendo la pregunta sobre el t instantáneo? El científico ofrece sus definiciones honestas e imparciales, pero no menos ahogadas en una vaguedad que las hace esquivas y utópicas. El ser humano se separa de la naturaleza a través de una mirada que quiere ser crítica para poder presentar pruebas, y compensar, de su fuerza e inteligencia, las carencias y cambios que se producen en su entorno. La reintroducción de un árbol desaparecido o en peligro de extinción son gestos afectados por las gotitas de lo sociopolítico racional al mismo tiempo que producen lo irracional. Lo irracional es la utopía de una naturaleza congelada y admirable, siempre idéntica. Lo irracional es la creencia de que podemos desafiar a la muerte, hacerla desaparecer. Los actos humanos se centran así en "Hacer local" desde el punto de vista global, cuando la localidad no es natural. Solo hay un "Local" porque todo está ligado, el entero y el movimiento. No se asimila fácilmente que aunque la naturaleza sea palpable y autónoma, los gestos del hombre, incluso los científicos, nunca han dejado de demostrar que la naturaleza es percibida y entendida como una imagen fantasmagórica eterna e inagotable por un lado y clasificable y descascarada de el otro.